LA VIE EN PRISON


La chapelle des Carmes et le séminaire Saint-Firmin ne sont pas des prisons à proprement parler, ce sont des "dépôts" dans lesquels les prêtres sont retenus en attente de leur déportation. Le régime officiel des prisons ne leur est pas obligatoirement applicable et le règlement intérieur en vigueur est celui fixé par les Sections dont ils dépendent. Il n'y a pas de registres d'écrou mais un simple cahier d'enregistrement des entrées tenu par le concierge.

Aux Carmes

Les premiers jours, les prisonniers doivent dormir à même le pavage de l'église ou sur les quelques chaises qui se trouvent là. Il est ensuite permis, à ceux qui en ont les moyens, de se procurer lit de sangles et paillasse. Les fidèles du quartier sont autorisés à apporter aux prêtres ce qui leur est nécessaire : lit, linge, nourriture. Un traiteur apporte régulièrement des repas, des fidèles payant pour les prêtres démunis. Toute la nourriture, même les bouillons destinés aux malades, est soigneusement fouillée au sabre par les gardes. Les détenus sont confinés dans l'église, sans possibilité d'en sortir ; de très nombreux gardes y séjournent aussi. Au bout de quelques jours le médecin de la Section obtient, pour éviter les risques d'épidémie, que les prisonniers sortent dans le parc une heure le matin et une heure l'après-midi pendant qu'on tente d'aérer l'église en brûlant des herbes fortes et des liqueurs spiritueuses. Selon le caprice des gardes, cette sortie s'effectue tous ensemble ou par moitié. Des gardes dans chaque allée limitent les parties du jardin où la promenade est autorisée. Des appels nominatifs ont lieu avant et après chaque sortie. Les visites venant de l'extérieur sont également autorisées à certaines heures, sous contrôle des gardes. Elles se poursuivront jusqu'au 2 septembre au matin. La garde est relevée chaque jour, mais presque tous les jours les gardiens insultent le Pape, qu'ils traitent, entre autres, d'antéchrist, et les prisonniers ; Mgr du Lau est tout particulièrement visé, mais, aux provocations, il oppose calme et sérénité. La nuit, le repos n'est pas toujours facile à prendre, les gardes sont toujours présents dans l'église, bruyants et grossiers, et c'est en général en pleine nuit, dans un grand tapage, que sont amenés les nouveaux prisonniers. Ils seront ainsi 160 (dont 8 ou 9 laïcs), ce qui posera quelques problèmes pour étendre les matelas et obligera à en replier un grand nombre dans la journée. Bien qu'il ne leur soit pas permis de célébrer la messe, même le dimanche, les prisonniers organisent leur vie religieuse. Comme ils n'ont pu apporter que peu de bréviaires, ils se repartissent en trois groupes sous la direction des évêques : après la prière commune du matin, "un tiers vaquait à l'oraison, l'autre tiers à la récitation de l'Office ou à la lecture, les autres prenaient les exercices d'une récréation modeste et paisible qui ne troublaient aucunement ceux que la piété occupait alors". Lors de la sortie dans le jardin, ils sont nombreux à se réunir dans l'oratoire de la Sainte Vierge (à l'emplacement du 102 de la rue de Rennes actuelle).

A Saint-Firmin

Les prêtres qui résidaient dans le séminaire restent dans leur chambre, les prêtres arrêtés à l'extérieur sont enfermés dans les différentes chambres de deux bâtiments réparties sur plusieurs galeries. Les premiers jours les consignes sont draconiennes : la circulation dans une galerie est autorisée dans la journée, mais interdite la nuit et défense est faite de passer d'une galerie à une autre, à l'exclusion du personnel de service. Une sentinelle armée d'une pique ou d'un fusil à baïonnette est placée à chaque extrémité des galeries, et au milieu de chacune d'elle il y a un garde, sabre au clair. Puis ces règles s'assouplissent et dans la journée les prêtres peuvent tous se réunir pour des lectures en commun, par exemple ; ils peuvent recevoir des visites venant de l'extérieur, mais toujours en présence d'un commissaire ; ils n'ont cependant pas la libre circulation dans tous les bâtiments, autorisée seulement à deux ou trois d'entre eux, pour les besoins du service. La section des Sans-culottes (anciennement du Jardin des Plantes) occupe d'ailleurs une partie des bâtiments. Comme aux Carmes, tout le courrier et les objets parvenant aux prisonniers sont contrôlés.

A La Force et à l'Abbaye

Il s'agit là de prisons. La Force est prison de droit commun depuis quelques années, pour l'Abbaye c'est un peu différent : l'ancienne prison abbatiale est passée depuis plusieurs années sous l'autorité civile et reçoit les prisonniers militaires, c'est donc tout naturellement que les officiers et les sous-officiers des gardes suisses y sont amenés après le 10 août ; comme la prison est trop exiguë pour contenir tous ces nouveaux détenus, une partie des bâtiments conventuels est annexée à la prison, la section des Quatre-Nations tenant ses assises dans le bâtiment des hôtes. Le régime dans ces deux endroits est celui qui existait normalement à l'époque dans les prisons. Les détenus sont logés normalement dans des chambres à 6 ou 8, mais à l'Abbaye ils occupent aussi des locaux plus vastes comme des réfectoires ou des chapelles où ils sont jusqu'à 80. Ils bénéficient d'une relative liberté : les chambres sont ouvertes le matin à 7 h (à la Force les guichetiers sont suivis de 2 gros chiens), liberté de circulation dans les bâtiments et les cours pendant la journée. A 20h., les guichetiers (toujours suivis de leurs chiens à la Force) font rentrer tout le monde dans les chambres et les verrouillent. Les prêtres sont logés dans des chambres qu'ils partagent avec les laïcs incarcérés le même jour qu'eux. Ils ne peuvent, bien sûr, célébrer la messe, mais conservent leur bréviaire. Dans leurs prisons, les ecclésiastiques discutent de la question du serment de liberté-égalité, les uns, irréductibles, considèrent qu'il ne peut être prêté, le mot "liberté" pouvant sous entendre une forme d'acceptation de la Constitution civile du clergé ; les autres pensent qu'il ne contient aucune adhésion à la constitution schismatique et donc que rien ne s'oppose à sa prestation s'il permet de sauver sa vie. D'une prison à l'autre on s'interroge, et on interroge l'Abbé de Salamon, internonce, qui transmet à Rome le 17 août une demande des détenus des Carmes sur la licéité de ce serment (la réponse ne partira de Rome que le 5 septembre : il y a lieu de surseoir à toute décision jusqu'à ce qu'on ait une explication authentique du mot "liberté" employé par les législateurs ; le Pape craint qu'on ait voulu par ce mot tout autre chose que la liberté purement civile "cette crainte est constatée par tout ce que vous m'écrivez, écrit le Cardinal Secrétaire d'Etat, qu'il est certain qu'on veut l'anéantissement de toute religion".