LA BEATIFICATION


Dès que furent connus les massacres, les fidèles considèrent les victimes comme des martyrs et recueillent leurs reliques, même au péril de leur vie comme c’est le cas pour Geneviève Barbe Goyon, couturière de 77 ans, qui habite rue Neuve Saint Etienne (rue Rollin actuelle, Ve arr.) ; elle est mise en demeure d’expliquer au Comité de la Section des Sans-culottes « d’où lui provenaient ces précieuses reliques trouvées chez elle et dont la liste y était et dont il y en avait entre autre de M. Gros, Curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et des autres martyrs des journées des 2 et 3 septembre Â». Elle est condamnée à mort le 22 floréal an 2 (11 mai 1794) par le Tribunal révolutionnaire de Paris comme « complice d’un complot tendant à fanatiser le peuple, à allumer la guerre civile et à anéantir le gouvernement républicain Â». Tout au long du XIXe siècle les victimes sont considérées dans leurs paroisses comme martyrs de la foi et honorés comme telles. Plaques, statues, vitraux, leur sont consacrés. Aux Carmes, dès le rachat des bâtiments et du jardin, la mère de Soyecourt fait rechercher les reliques éventuelles, protège les marques de sang, érige une croix sur le puits qu’on lui dit être celui où ont été jeté les corps des martyrs. Une chapelle est construite pour agrandir l’oratoire de la Vierge dans laquelle on appose des plaques, des vitraux. A la fin du siècle l’idée d’une béatification est de plus en plus répandue. C’est en 1901, sous l’impulsion de Monseigneur Richard, Archevêque de Paris, que la procédure est mise en route. Les travaux préparatoires commencent aussitôt par une recherche historique très rigoureuse. Une réunion annuelle fait le point de l’enquête. Le 16 janvier 1916, Benoît XV signe l’introduction de la cause. En 1926 Pie XI décide de la béatification.

DECRET PONTIFICAL
sur le Martyre des victimes de septembre 1792


Rome 1er octobre 1926

Fête de saint Rémy, évêque de Reims

On ne pourra jamais assez déplorer ce noir et misérable fléau qui, à la fin du XVIIIe siècle, caché sous le nom mensongeur de philosophie, avait perverti les esprits et corrompu les mœurs, et rempli avant tout la France de meurtres et de ruines. L’âme est émue d’horreur au souvenir des inexprimables spectacles de cruauté et de barbarie qu’exhibèrent, pendant la révolution française, des hommes impies et scélérats, à peine dignes de ce nom d’hommes : les temples sacrés dépeuplés, les signes sacrés de la religion catholique violés, des évêques, des prêtres, de pieux laïques immolés arbitrairement, pour avoir refusé de prononcer une formule de serment décrétée par la puissance laïque et ouvertement opposée aux droits de l’Eglise, à la liberté de la conscience, ou pour s’être montrés moins bienveillants envers ces nouvelles institutions politiques.

Parmi tant de prêtres illustres et de chrétiens remarquables, qui durant cette noire tempête furent livrés à la mort, brille certes au premier rang cette insigne légion d’hommes, qui, à Paris, au mois de septembre 1792 furent immolés avec une souveraine injustice et une infâme barbarie. 213 d’entre eux ont paru digne d’être décorés comme de courageux soldats du Christ de l’honneur que l’Eglise a l’habitude de décerner à ses martyrs, et la cause de leur martyre a été déférée au Siège Apostolique. Leur mort fut exécutée au lieu même où ils étaient gardés prisonniers, c’est-à-dire au Couvent des Carmes pour 110 dont les noms suivent fidèlement transcrits 77 furent massacrés au Séminaire Saint-Firmin, savoir 23 serviteurs de Dieu parmi les prisonniers écroués à la prison de l’Abbaye Saint-Germain 3 également dans la prison appelée La Force.

Les listes judiciaires établies et examinées devant le tribunal ecclésiastique de Paris par l’Autorité et de l’Ordinaire et du Siège Apostolique, sur le martyre et la cause du martyre, et les signes ou miracles, et leur forme légitime approuvée, une Congrégation antépréparatoire fut tenue dans la demeure du Révérendissime Cardinal Vincent Vannutelli, Ponent de la Cause, le 23 octobre 1923 : il y fut traité du martyre, de la cause du martyre et des signes ou miracles de tous ces serviteurs de Dieu. L’Assemblée préparatoire fut convoquée deux années après au Vatican dans la Salle des Congrégations le 15 novembre. Cette année courante, le 13 juillet, les Comices Généraux ont été célébrés devant Notre Très Saint-Père le Pape Pie XI : Le Cardinal Vannutelli y proposa à la discussion le doute suivant :

“Conste-t-il du martyre, de la cause du martyre, et des signes ou miracles des susnommés 213 Serviteurs de Dieu ? Â»

Les suffrages des Révérendissimes Cardinaux et des Pères Consulteurs furent écoutés avec attention par le Très Saint-Père ; il différa cependant l’expression de son sentiment ; il fut d’avis qu’il fallait prier Dieu et implorer une plus grande abondance de lumière divine dans une affaire si grave.


Cardinal Vico
Lorsque, tout bien pesé dans un examen mûr et sérieux, il fut décidé d’ouvrir sa pensée, il désigna ce jour présent où l’on célèbre le souvenir solennel de Saint-Rémy, évêque de Reims ; et, après avoir très dévotement offert l’Hostie de la Paix, il commanda d’appeler les Révérendissimes Cardinaux Antoine Vico, Evêque de Porto et de Sainte-Rufine, Préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, et Vincent Vannutelli, Evêque d’Ostie et de Préneste, Doyen du Sacré Collège et Ponent de la Cause, avec le R.P. Charles Salotti, Promoteur Général de la Foi, et moi Secrétaire soussigné, et séant sur le trône Pontifical, il édicta par un décret solennel : « Il est assez constant du martyre et de la Cause du Martyre de 191 des Vénérables Serviteurs de Dieu énumérés ci-dessus, pour qu’on puisse procéder aux formalités suivantes dans le cas et à l’effet dont il s’agit; quant aux autres 22 différés et que les preuves soient fortifiées. Â» Ce sont : François GUILLAUMOT – Jean, Charles LEBRETON – GUESDON prêtre – Pierre, Alexandre de LANGLADE – François, Louis LAUGER de LAMANON – Michel, Joseph LEMERCIER – Jean MASSIN – Jean-Marie MONGE – Louis PELLIER – Augustin PORLIER – Louis, François ROSE – Jean, César ROSTAING – Joseph, Martial TEXIER – Jean, Joseph THIERRY – Joseph VOLONDAT – Antoine, Claude, Auguste BEAUPOIL de Saint AULAIRE – Salvator COSTA – Jacques FANGOUSSE DE SARTRET – Marie, Antoine, Philippe FAUCONNET – Guillaume VIOLARD – Thomas, Pierre, Antoine de BOISGELIN – le prêtre MARTIN.

Et il ordonna que le décret soit de droit public et inséré dans les Actes de la Sacrée Congrégation des Rites, le jour des Calendes d’Octobre de l’année 1926.

A.Card. VICO,

Portuen et S.Rufine, S.R.C. Prefectus,

Angelus Mariani, S.R.C. Secretarius.