LES MASSACRES


Le 1er septembre, le bruit court que les Prussiens ont investi Verdun et l'ont sommé de se rendre. Le 2 septembre au matin, la Commune fait placarder dans Paris un appel aux armes, il prévoit la fermeture des barrières, l'ordre de marche pour Verdun de tous les hommes valides, le désarmement des suspects et de ceux qui refuseraient de marcher ; il ordonne de tirer le canon d'alarme et de battre la générale dans toutes les sections, les membres du conseil général doivent retourner dans leurs sections respectives et "y annonceront les dispositions du présent arrêté, y peindront avec énergie à leurs concitoyens les dangers imminents de la Patrie, les trahisons dont nous sommes environnés ou menacés".
A la section du Luxembourg, dans l'église Saint-Sulpice, on délibère. Un membre propose qu'avant de partir aux frontières on se débarrasse des individus détenus dans les prisons et en particulier des prêtres détenus aux Carmes ; plusieurs membres, dont Violette, accueillent, tout d'abord, cette proposition avec réticence. Un autre membre, Carcel, horloger, propose alors qu'une commission soit désignée pour traduire devant les tribunaux ceux qui avaient des faits à leur charge ; cette nouvelle proposition est violemment combattue par les partisans des solutions extrêmes et finalement "la motion d'un membre de purger les prisons en faisant couler le sang de tous les détenus de Paris avant de partir, les voix prises, est adoptée". Trois commissaires ont été nommés... pour aller à la ville communiquer, afin de pouvoir agir d'une manière uniforme. La section Poissonnière, de son côté, adopte une motion semblable "que tous les prêtres et personnes suspectes enfermés dans les prisons de Paris, d'Orléans et autres seront mis à mort". Elle le fait connaître à celle du Luxembourg. Carcel, redoutant ce qui allait arriver, se rend auprès du commandant Tanche, de la Garde nationale, pour qu'il rassemble le plus grand nombre possible de citoyens afin de protéger les prisonniers qu'on veut attaquer, mais en vain, il n'est pas entendu. En ville, dans le bruit du canon et de la générale, on dresse des estrades aux carrefours pour recueillir les enrôlements ; de nombreux attroupements se forment, les esprits s'échauffent. En début d'après-midi, on sonne le tocsin à tous les clochers de Paris, ce n'est « point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la Patrie » dit Danton qui, dans le même discours, annonce qu'une partie du peuple « va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième avec des piques défendra l'intérieur de nos villes. »
Dans les prisons, depuis le matin, les détenus sentent que quelque chose se prépare : les gardes sont renforcées, on sert le repas plus tôt, on fouille les détenus avec un soin tout particulier, on leur enlève beaucoup d'objets en particulier leurs couteaux, et des traiteurs, comme à la Force, se font payer les repas plus tôt qu'à l'accoutumée. Aux Carmes, la sortie du matin est supprimée, mais les visiteurs extérieurs restent autorisés.

C'est alors que commencent vers 15 heures les massacres, menés d'abord d'une façon anarchique par quelques individus, à l'Abbaye et aux Carmes, puis, dans ces deux mêmes prisons, à partir de 16 heures environ, d'une manière plus organisée après l'arrivée de "commissaires" qui contrôlent les identités et opèrent un certain tri des victimes. Ils dureront 5 jours faisant entre 1.200 et 1.400 victimes.

A l'Abbaye, ils dureront jusqu'au 4 septembre en fin de matinée (180 morts environ dont 21 prêtres sur 238 prisonniers dont 29 prêtres), aux Carmes, ils cesseront vers 18 heures faisant 116 morts sur 162 à 172 prisonniers. Vers 21 heures, c'est à la Conciergerie que commencent les massacres qui dureront 9 heures (275 morts environ sur 500 détenus) ; vers minuit, c'est au tour des prisons de la Force (165 morts environ dont 3 prêtres, sur 408 détenus - ils dureront jusqu'au 7 septembre au matin) et du Châtelet (220 morts environ sur 269 détenus, tous de droit commun - ils cesseront le 3 septembre vers 4 heures du matin). Le 3 septembre à partir de 5 heures 30 et durant environ deux heures, les tueurs s'attaquent aux détenus du séminaire Saint-Firmin (77 morts, tous prêtres, sauf 4 laïcs suivant volontairement leur sort, sur 91 ou 93 détenus). A 8 heures, aux Bernardins, à coté de Saint-Firmin, les tueurs massacrent 73 forçats sur les 75 qui y étaient détenus en instance de transfert sur le bagne, les accusant d'être des prêtres déguisés. Dans l'après-midi du 3 septembre, c'est au tour de Bicêtre (asile de vieillards, maison de correction et prison pour mendiants, vagabonds et droits commun), ils cessent à la nuit pour reprendre en fin de matinée le 4 et se terminer vers 15 heures (165 morts environ, dont 43 enfants de 12 à 17 ans, sur 411 prisonniers et pensionnaires), puis à 17 heures le même jour, les tueurs arrivent à la Salpêtrière, prison-hospice pour femmes (35 victimes sur 270 détenues).

Devant l’Abbaye

Vers 14 heures, un convoi d'une demi-douzaine de fiacres escortés de fédérés marseillais et bretons, transporte à l'Abbaye, 24 ou 25 personnes, en majorité des prêtres réfractaires, arrêtées la veille au soir ou le matin même et rassemblées à la Mairie (dans l'île de la Cité). Les cochers ont l'ordre de rouler très lentement sous peine d'être massacrés sur leurs sièges. Tout en leur assenant coups de sabre et de pique, les fédérés ne cessent de répéter aux prisonniers qu'ils n'arriveront pas jusqu'à l'Abbaye, le peuple auquel ils vont les livrer se fera justice de ses ennemis et les égorgera sur la route. Par le Pont-Neuf, et la rue Dauphine le convoi arrive au carrefour de Bucy où se dresse une estrade d'enrôlement, la foule est nombreuses, les cris redoublent, les fédérés disent à ceux qui les entourent : « Voici vos ennemis. Voilà nos sabres et nos piques : donnez la mort à ces monstres ». C'est la ruée sur les voitures plusieurs des passagers sont blessés, certains très grièvement, on vit un jeune homme vêtu d'une robe de chambre blanche, blessé, descendre de la dernière voiture et être achevé sur place. Le convoi ne s'est pratiquement pas arrêté et parvenant à l'Abbaye pénètre dans la première cour (parvis actuel, à peu près devant le square). A peine le convoi est il arrêté que deux des passagers sont assommés au pied des voitures, les autres sont poussés vers le bâtiment des hôtes où siège le comité de la section des Quatre-Nations ; ils sont tous massacrés, à l'exclusion de cinq d'entre eux dont l'abbé Sicard, instituteur des sourds-muets, et un avocat de Metz, arrivé à Paris depuis quelques jours pour affaires ; pour assurer leur sécurité, les rescapés sont installés à la table de la Section, une plume à la main. Le massacre a duré entre une demie heure et une heure, il y a dix neuf morts. Une certaine accalmie se produit alors à l'Abbaye.

Aux Carmes

Le 31 août, Manuel, commissaire de la Section vient annoncer aux détenus que le décret de déportation leur sera signifié le dimanche 2 et qu'on leur rendra la liberté pour qu'ils puissent se mettre en devoir d'obéir à la loi et gagner la frontière. Les prêtres qui le peuvent font venir argent et vêtements en bon état pour le voyage. La matinée du 2 septembre se passe comme à l'ordinaire dans les exercices de la piété chrétienne. Vers midi, on entend battre la générale et gronder le canon d'alarme. Mais cela inquiète moins les détenus que la mauvaise garde de ce jour là. Pendant le repas un officier de garde dit aux prêtres : « Lorsque vous sortirez, on vous rendra à chacun ce qui vous appartient. » La promenade habituelle est différée puis, finalement, annoncée vers 15 heures ; contrairement aux usages les prêtres âgés, malades ou infirmes sont obligés de sortir. Dans le jardin, la garde est doublée et toute composée de gens armés de pique ; la chapelle de la Vierge est fermée, mais sur intervention de l'évêque de Saintes, elle est rouverte et plusieurs prêtres s'y rendent. Vers 16 heures, les détenus entendent de grandes clameurs au voisinage et peu de temps après, un groupe de forcenés apparaît aux fenêtres menaçant de leurs piques. Certains qu’ils vont être massacrés, les prêtres se donnent l’absolution l’un à l’autre. Les gardes disparaissent et les tueurs entrent dans le jardin armés de fusils à baïonnettes, de piques et de pistolets. Ils massacrent le premier qu'ils rencontrent, l'abbé Girault qui lisait son bréviaire près du bassin ; l'abbé Salins qui se trouvait à proximité se précipite pour s'interposer mais est abattu d'un coup de fusil. Puis ils se précipitent dans le jardin en réclamant l'archevêque d’Arles. Les prêtres qui entourent Mgr du Lau veulent le cacher mais lui leur répond que puisque c’est lui qui est recherché il ne seront apaisés que quand ils l’auront trouvé. Un des tueurs devance les autres et vient au devant du groupe entourant Mgr du Lau : - « Es-tu l'Archevêque d'Arles ? - Oui, je le suis, répondit-il calmement. - C'est donc toi qui a fait répandre tant de sang à Arles. - Moi ? Je ne sache pas avoir fait du mal à personne. - Scélérat ! Je vais t'en faire à toi ! » Et aussitôt, il lui décoche un grand coup de sabre sur la tête. A ce premier coup, Mgr du Lau joint ses mains et s'en couvre le visage et, sans faire la moindre plainte, il est mis à mort. Un second assassin vient encore enfoncer sa pique dans le corps de la victime ; il lui arrache sa montre et l'a présente à ses camarades d'un air content et satisfait.

Les tueurs se précipitent alors vers la petite chapelle de la Vierge du jardin, et déchargent leurs fusils et leurs pistolets. Mgr de la Rochefoucauld, évêque de Beauvais, est blessé à la jambe. Plusieurs prêtres escaladent le mur de clôture. L'un d'eux, l'abbé Gallais, renonce à fuir et revient partager le sort de ses compagnons, il est alors blessé d'un coup de feu à la jambe ; 5 ou 6 autres parviennent à s'échapper. Dans le jardin, le "parc aux cerfs" disent les tueurs, la "chasse" continue, plusieurs prêtres sont blessés à coups de feu et achevés à l'arme blanche. Le massacre dure depuis une quinzaine de minutes quand des fenêtres on crie "Arrêtez ! C'est trop tôt; ce n'est pas ainsi qu'il faut s'y prendre !" Violette, commissaire de la Section, accompagné de 12 à 20 hommes, entre alors dans le jardin et ordre est donné aux prisonniers de rentrer dans l'église. Toujours excités les tueurs continuent de tirer des coups de fusils. Quand il pense que tous les rescapés ont pu rentrer dans l’église Violette fait fermer la porte du perron, mais les abbés Martin et Grayot de Kéravenant, sont encore à l'extérieur, ils escaladent un appentis, se réfugient dans les combles de l'allée menant de la maison aux lieux communs. Ils y restent jusqu'à 7 heures et demie le lendemain matin, « entendant tous les coups sans qu'aucun cri ait été poussé par les victimes. »

Enfermés dans l'église, les détenus entendent encore des coups de feux dans le jardin. Ils sont entassés dans le chœur, la nef leur étant interdite. Deux des détenus, l'abbé Leturc et le frère Istève parviennent à se cacher dans l'escalier menant à la chaire et échapperont ainsi au massacre ; un autre se cache sous des matelas (pris d'éternuements il sera découvert vers 21 heures et massacré). Rentrés dans l'église, les prêtres, au milieu des hurlements, se prosternent au pied du crucifix qui y restait, seul et unique signe religieux qui n’avait pas pu être enlevé. Brusquement les forcenés font silence, c'était Mgr de La Rochefoucauld qu'on portait avec assez d'humanité. On le place sur un lit, où son frère l’évêque de Saintes vient le rejoindre. Puis les forcenés recommencent cris, insultes et menaces. C’est alors que parait un commissaire de la Section qui implore les droits de l'humanité faveur des détenus. Mais il met si peu de chaleur et d'intérêt dans son discours qu'il n'eut aucun succès.


Prière à l'oratoire
Dès qu'il fût sorti de l'église, on ordonne aux prêtres de cesser les prières et de se lever. Un des tueurs leur demande alors d'un ton menaçant : « Avez vous prêté le serment ? » Il lui est répondu, que pas un des détenus n'avait prêté ni ne prêterait ce serment. « C'est égal, allons, passez, passez, votre compte est fait. »

Deux par deux les prêtres sont appelés et, sortant par la chapelle de la Vierge, ils passent dans le petit corridor menant au jardin, sont poussées vers le petit perron où ils sont massacrés à coup de sabres, de piques et d'outils agricoles. Les corps sont traînés et entassés au pied d'un if proche. L'évêque de Beauvais appelé à son tour, dans les derniers, fait remarquer qu'il ne peut marcher et demande de l'aide, il est alors soutenu humainement par des gardes qui le conduisent jusqu'au perron. Des gardes nationaux réussissent à soustraire plusieurs prêtres au massacre, deux d'entre eux sont conduits à l'extérieur par leurs sauveurs, les abbés Saurin et Letellier ; l'Abbé de La Pannonie est invité à profiter de l'invasion de l'église par une foule de pillards et de badauds pour se mêler à elle et gagner la sortie. D'autres enfin sont regroupés sous garde armée pour être jugés à la Section. Aux environs de 18 heures les massacres cessent, et les 30 derniers prisonniers, dont 8 laïcs, sont conduits sous escorte à la Section, ils seront relâchés les jours suivants. En arrivant à la Section, après le massacre, un des commissaires dit : « Je ne comprends pas ces gens, ils allaient à la mort comme on va à un mariage ! » Toute la nuit on entend des chants et des cris dans le jardin. Le lendemain matin la section du Luxembourg confie à Daubanel, son secrétaire, le soin de faire enterrer les cadavres. Dès le matin du 3 septembre deux grands chariots sont amenés dans le jardin, et, remplis d’une quinzaine de corps chacun, les emportent au cimetière de Vaugirard là les corps sont déposés dans une fosse commune creusée en face de la petite porte du milieu, et recouverts de chaux. Les autres corps sont jetés dans un puits du jardin près de l'angle des rues d'Assas et de Coëtlogon actuelles. Ce puits sera retrouvé en 1867, lors du percement de la rue de Rennes et les ossements de 90 corps environ retirés et analysés seront déposés dans la crypte de l'église des Carmes.

A l'Abbaye

Le repas est servi plus tôt qu'à l'accoutumé, le guichetier qui le sert a un « air effaré, ses yeux hagards nous firent présager quelque chose de sinistre » (Journiac de St Méard). Après le repas les détenus entendent des cris, ce sont ceux qui accompagnent le massacre des passagers des fiacres. Aux environs de 17 heures, Maillard arrive à l'Abbaye et installe son "tribunal" dans le bâtiment des hôtes. Des hommes vont chercher les détenus, pièce par pièce en commençant par celles où se trouvent des officiers et les sous-officiers des gardes suisses et les amènent devant le tribunal. Après un très bref interrogatoire d'identité et quelques explications éventuelles du détenu la sentence tombe : « Conduisez Monsieur à la Force ! ». Le condamné est alors poussé dans la cour et immédiatement abattu à l'arme blanche. Très vite les détenus apprennent ce qui se passe et les prêtres se confessent l'un à l'autre. Vers 18 heures on vient leur annoncer que tous les prêtres des Carmes ont été massacrés. A cette poignante nouvelle les détenus se jettent aux genoux de l'Abbé Royer et tous ensembles, ecclésiastiques et laïcs, lui demandent l'absolution in articulo mortis. L'Abbé Royer récite ensuite les prières des agonisants. Vers minuit les prêtres sont conduits dans la salle des hôtes. En tête de file l'Abbé Royer. L'interrogatoire est court, comme tous ceux du reste qui suivront : « As-tu prêté le serment ? » demande le président. Avec le calme de la bonne conscience l'abbé répond : « Non, je ne l'ai pas prêté. » Un tueur lui assène aussitôt un coup de sabre sur la tête, qui fait sauter sa perruque. Les coups redoublent sur la tête et sur le corps et bientôt l’abbé Royer est étendu à terre ; les tueurs le tirent dehors et reviennent quelques instants après en criant : « Vive la Nation ! ». Ce fut ensuite le tour de l'Abbé du Bouzet. Qui, à la question de président répond d’une voix faible « Je ne l'ai pas prêté ». On crie : « Enlevez le ! » Aussitôt plusieurs assassins le poussent dehors dans le jardin. Le massacre de ce groupe de prêtres dure jusque vers 4 heures du matin le 3 septembre. N'étant pas avec les autres ecclésiastiques les abbés Lenfant et Chapt de Rastignac ne sont pas compris dans ces premiers massacres et mettent le temps à profit pour accomplir leur ministère auprès des détenus.

« Le lundi 3 à dix heures, l'abbé Lenfant, confesseur du Roi et l'abbé de Chapt-Rastignac, parurent dans la tribune de la chapelle qui nous servait de prison, et dans laquelle ils étaient entrés par une porte qui donnait sur l'escalier. Ils nous annoncèrent que notre dernière heure approchait, et nous invitèrent à nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique, qu'on ne peut définir, nous précipita à genoux ; et les mains jointes, nous la reçûmes. Ce moment quoique consolant, fut un des plus dures que nous ayons éprouvés. A la veille de paraître devant l'Être Suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous présentions un spectacle indéfinissable. L'âge de ces deux vieillards, leur position au dessus de nous, la mort planant sur nos têtes et nous environnant de toutes parts : tout répandait sur cette cérémonie une teinte auguste et lugubre ; elle nous rapprochait de la divinité ; elle nous rendait le courage ; tout raisonnement était suspendu, et le plus froid et le plus incrédule en reçut autant d'impression que le plus ardent et le plus sensible. Une demi-heure après ces deux prêtres furent massacrés, et nous entendîmes leurs cris ! » (Jourgnic de St Méard).
Après les massacres, les corps dévêtus sont emportés en tombereau et jetés dans les carrières de la Tombe-Issoire. .

A La Force

A quatre heures de l'après-midi, le 2 septembre, les guichetiers appellent des prisonniers, sous prétexte de les inviter à se faire inscrire pour aller combattre à la frontière ; cet appel dure jusqu'au soir et on dit aux prisonniers que ceux qui ne rentrent pas ont été transférés dans une autre maison d'arrêt. Il s'agissait en fait d'un certain nombre de détenus pour dettes ou de militaires incarcérés pour indiscipline, remis en liberté sur ordre du Conseil Général de la Commune. Ces appels se poursuivent dans la soirée dans un grand bruit de verrous ouverts ou fermés. A 20 heures les portes des chambres sont fermées comme à l'accoutumé. Inquiets les détenus ont du mal à trouver le sommeil. C'est à minuit que commencent les massacres. Comme à l'Abbaye, on appelle nominativement les prisonniers qui, escortés de gardes armés de sabres, de fusils ou simplement de bûches, sont conduits dans le bureau du concierge où ils comparaissent devant un "tribunal”. Après un semblant d'interrogatoire le président prononce le verdict : un acquittement au cri de « Vive la Nation ! » ou une condamnation à mort. Le prisonnier que les juges n’ont pas condamné, est saisi par quatre brigands. Celui qui préside aux massacres le conduit, criant et ordonnant au prisonnier de crier comme lui : « Vive la Nation ! » Ils arrivent ainsi jusqu'au guichet de la prison. Là sont les tueurs. Au nombre d’une soixantaine, ils forment une haie prolongée jusqu'à l'extrémité de la rue, fermée un tas de cadavres. Le chef des tueurs paraissant le premier au guichet, tient son sabre levé, son chapeau sur la pointe du sabre. Il répète le cri de « Vive la Nation ! Grâce au bon citoyen ! » A ces mots la double haie des bourreaux et des spectateurs s’ouvre. La populace qui assiste à ce spectacle dans la rue, aux fenêtres et jusque sur les toits, fait retentir le même cri, jusqu'au moment où, toujours précédé du chef des Marseillais, et tenu par quatre gardes, le prisonnier arrive près du tas de morts. Il est alors lâché par ses gardiens. Le chef se poste devant lui et la main étendue sur les cadavres, prononce le serment de fidélité à la liberté. Il se fait un grand silence. Si le prisonnier répète le serment, les derniers bourreaux lui ouvrent le passage, et il est libre. S'il se tait ou refuse de répéter le serment, ceux là mêmes qui l'ont conduit le tuent, et son corps est jeté sur des cadavres Certains des libérés sont reconduits chez eux au milieu des acclamations, d'autres sont amenés à l'église de Culture-Sainte Catherine à quelques distances de là et connue sous le nom de dépôts des innocents. Par contre, si le prisonnier est condamné, il sort le premier ; dès qu'il franchit le seuil, cinq "travailleurs", munis de lourdes bûches, l'assomment, les "déblayeurs" tirent le cadavre jusqu'au caniveau à l'angle de la rue des Ballets (rue Malher, actuelle) de la rue Saint-Antoine, le déshabillent et le jettent sur les cadavres précédents. Peu après l'assassinat de la princesse de Lamballe, la prison de la Force offre une scène semblable à celle des Abbés Lenfant et de Rastignac, bénissant leurs compagnons de captivité. Les abbés Bertrand de Moleville, frère de l'ancien ministre, Bottex et de Lagardette, se lisent les prières des agonisants, s'exhortent à pardonner à leurs bourreaux, prient pour eux et se donnent l'absolution. Le notaire Guillaume l'aîné et un garde national, convertis tout à coup, quoique étant du nombre de ces tueurs assistent à cette scène, à genoux aux pieds des trois prêtres et partagent le bienfait de la réconciliation. Trois prêtres subissent le martyr, les autres soit prêtent le serment demandé, soit réussissent à s'évader dans l'excitation qui accompagne la mort de la Princesse de Lamballe. Comme à l'Abbaye, les corps des victimes sont chargés sur des tombereaux et inhumés dans les carrières.

A Saint-Firmin

Au matin du 2 septembre les détenus ne se doutent de rien et pourtant M. Henriot, commandant du bataillon des Sans-culottes, leur avait dit deux fois d’un ton féroce qu'ils étaient des scélérats et qu'ils périraient tous. Mais la publicité qu'il avait mise à tenir ce propos leur avait fait croire qu'on ne voulait que les effrayer. A 20 heures le même jour, l’abbé Boulangier, Procureur du Séminaire, qui avait une carte pour aller dans la cuisine, est arrêté en s’y rendant par un garçon-boucher qu'il ne connaît que de vue et dont le maître ne fournissait pas le séminaire. Cet homme prend le procureur par la main et lui dit en versant des larmes : « Mon cher ami, sauvez vous : on doit vous égorger tous ce soir ; mon maître pleure chez lui sur votre sort. Il n'a pas osé venir jusqu'ici pour vous en informer. » L’abbé Boulangier ne peut croire à une telle atrocité craint qu'on ne lui tende un piège. Il va immédiatement en avertir le Supérieur, qui lui aussi considère que ce n’est pas possible ; il dit qu’il faut envoyer le domestique s'informer à la Section, qui est assemblée à Saint-Victor, pour savoir s'il y a des craintes à avoir pour le Séminaire. Le procureur retourne à la cuisine, faire la commission dont il est chargé. Entrant dans l'office de la dépense il y retrouve le garçon-boucher qui se saisit une seconde fois de lui et qui lui renouvelle ses instances pour sortir, en ajoutant que les prisonniers des Carmes ont déjà été égorgés, qu'on va venir au Séminaire et que dans un quart d'heure, il ne serait plus temps d'en sortir. Au même instant arrivent deux autres jeunes gens dont l’un armé de son fusil avec baïonnette et qui tiennent le même langage à l’abbé Boulangier. Celui-ci leur demande : « Et le corps de garde qui est à l'entrée du séminaire, le comptez-vous pour rien ? » Un des trois répond : « Il va venir 4.000 brigands sur vous, comment voulez vous que le corps de garde leur résiste ? D'ailleurs, ne comptez pas sur le corps de garde, plusieurs des gardes seront contre vous. » Le Procureur effrayé de ces propos, remonte chez le Supérieur rendre compte de son entretien avec ces hommes. Il ajoute que l'on n'a aucune nouvelle de la Section et que le boucher le presse vivement de s'en aller. Le Supérieur prend alors ses dispositions pour sortir. Le Procureur se rend au bâtiment vieux, rapporter à un prisonnier son chapeau qu'il avait laissé dans une chambre du bâtiment neuf, puis descend une troisième fois à la cuisine où il retrouve ses libérateurs. Le boucher le saisit de nouveau et lui fait promettre de sortir ; les trois ensemble lèvent les obstacles que le Procureur voyait à passer devant le corps de garde où il est connu. Il s'avance, passe au milieu des Sans-culottes qui arrivent au Corps de Garde, (c'était pour des patrouilles de nuit). Dans la rue, il prend le boucher par le bras, veut mettre un louis d'or dans la main de son sauveur qui le refuse en disant qu'il ne veut rien et qu'il est trop heureux de lui avoir sauvé la vie. Le Procureur l'embrasse, le remercie et le prie de courir au Séminaire avertir ses confrères de sa fuite et des motifs qui l'ont forcé à fuir.

Pendant la nuit du 2 au 3 septembre, 4 personnes sur 90 environ qui étaient au Séminaire Saint-Firmin, parviennent les unes à sortir en sautant par dessus des murs et des toits, les autres en se cachant dans de vieux greniers où elles demeurèrent deux jours sans oser se montrer et sans aucun secours. Geoffroy Saint-Hilaire raconte qu'il réussit à faire passer 8 à 10 personnes avec une échelle de l'autre coté du mur qui séparait le séminaire du Collège de Cardinal Lemoine. Outre l'Abbé Boulangier, les abbés de Langres et Gomer, Chevillard et Leforestier, s'échappent avant le massacre ; un autre prêtre, l'Abbé Adam est sauvé par un nommé Vallé qui l'avait réclamé. C'est le 3 à 5 heures et demie, que les tueurs arrivent à Saint-Firmin. Ils commencent par parcourir les bâtiments rassemblant tous ceux qu'ils rencontrent. Ils libèrent 5 prêtres pour lesquels ils avaient semble-t-il des ordres : ce sont MM. Lhomond, professeur émérite du Collège du Cardinal Lemoine, de Létang, Lafontan, prêtres de Saint-Nicolas, Bouchard et Desmoulins, prêtres de la même communauté de Saint-Nicolas. Pendant cette fouille du bâtiment on propose à M. Gros, curé de St-Nicolas du Chardonnet, de le cacher dans un endroit du Séminaire où on ne le trouverait pas. Il répond : « Le peuple sait que je suis là, il bouleversera la maison, ceux qui seront cachés seront égorgés avant moi, il vaut mieux que je sois sacrifié et que les autres soient épargnés. » Les tueurs veulent faire sortir leurs victimes dans la rue pour les massacrer en public, des protestations les en empêchent, ils rentrent donc. Voulant le sauver, des personnes conduisent Monsieur François, Supérieur du Séminaire, au Comité de la Section qui siégeait alors dans le bâtiment. Les administrateurs font tous leurs efforts pour le soustraire à la rage de ses bourreaux, mais tout est inutile : on fait remarquer qu'il n'est pas compris dans la liste de ceux qui doivent être épargnés. On le précipita par la fenêtre dans la rue où des femmes, armées de massues avec lequel on bat le plâtre, l'achèvent. Les massacres commencent alors à l'intérieur des bâtiments, non sans des scènes édifiantes : M. Pottier continue à prêcher ses bourreaux tant qu'il a un souffle de vie. Un des maîtres d'école de la Pitié demande le temps de réciter un Pater, on le lui refuse. Plusieurs prêtres sont précipités par les fenêtres et sauvagement achevés sur le pavé, comme l'Abbé Caupène, qu'on prend tremblant de fièvre dans son lit et qu'on jette par la fenêtre de sa chambre ou l'Abbé Gros, dont la tête est coupée et promenée dans le quartier. Les cadavres de la rue sont enlevés le jour même et, dévêtus, sont emportés aux carrières de la Tombe-Issoire. Il faudra attendre trois jours pour qu'on enlève ceux qui étaient dans les bâtiments, après avoir récupéré leurs vêtements ; en même temps on procédait à l'inventaire de leurs chambres et on y posait les scellés.