HOMÉLIE DE LA SOLENNITÉ 2023, pour commémorer les martyrs de septembre 1792
Dimanche 8 Octobre 2023 - 27ème dimanche du Temps Ordinaire, année A (2023)
Paris, Saint Joseph des Carmes
(Is 5, 1-17; Ph 4, 6-9; Mt 21, 33-43)
LE PRIX DE LA VIGNE
Je viens d’une région où la vigne a du prix. Pendant longtemps, pendant deux siècles environ, elle était notre unique richesse. C’est dire que nous y sommes particulièrement sensibles à cette image qui traverse le livre de la Parole de Dieu, à la manière d’un fil conducteur, jusqu’à l’évangile qui vient d’être proclamé. Dieu aime sa vigne, le peuple qu’il s’est choisi, son Israël : il le guide, il le protège, il le corrige à la manière dont on émonde les ceps afin de produire le meilleur vin.
Le souci de la vigne encadre, si je puis dire, de la première à la dernière page, la mission de Jésus. A Cana, le Christ manifeste pour la première fois ce qu’il est et ce qu’il veut faire au cours d’un mariage. Rappelez-vous : le vin vient à manquer. Chez nous, sans vin pas de fête, sans fête pas de joie, sans joie pas d’amour, sans amour pas de noces. Les convives risquent de se séparer et, à travers eux, l’humanité de sombrer dans un abîme de tristesse. L’eau est transformée en vin. La noce est sauvée. Dieu, enfin, va pouvoir épouser l’humanité. Demain, à la veille de monter sur la croix, le Christ transformera, non plus l’eau en vin, mais le vin en sang, son propre sang librement, magnifiquement offert pour la multitude. « Faites cela en mémoire de moi ».
La vigne restera la dernière image que le Christ laisse à ses disciples : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron, leur dit-il. (…) Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance, car sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 1 & 5). Et puis ce sera l’arrestation, la condamnation, la douloureuse voie du Golgotha, enfin le sang versé. Le prix de la vigne est toujours le sang.
La vigne que Dieu entoure d’un soin jaloux est ce projet de salut offert non plus a un seul peuple, mais désormais, depuis le sacrifice de son Fils, à l’ensemble de l’humanité. L’annoncer, ce projet, à tous les hommes de bonne volonté, l’expliquer, le faire comprendre « par la parole et par l’exemple », selon l’expression consacrée, le faire aimer, en un mot : on reconnaît bien là le propos de l’Eglise. Si le prix de la vigne est le sang, on ne sera pas étonné de rappeler, une fois encore, que cette Eglise, née sur la croix, du côté de Jésus transpercé, s’est fortifiée dans le sang des martyrs. Trois siècles de persécutions dès ses débuts, et puis, selon les péripéties de l’Histoire, d’autres vagues, d’autres sacrifices. La plupart de ces sacrifices sont restés secrets, comme tombés dans la poussière des oubliettes. D’autres demeurent gravés dans notre mémoire collective.
Au matin du 4 mai 1789, sous un dais de tissu d’or, Monseigneur l’Archevêque de Paris portait le Saint-Sacrement dans un ostensoir flambant comme le soleil : au cours de la messe du Saint-Esprit, les trois Ordres du royaume Très-Chrétien demandaient à Dieu d’éclairer les travaux de l’Assemblée des Etats-Généraux qui allait s’ouvrir le lendemain. Moins de quatre ans plus tard, c’est-à -dire le temps d’un soupir aux yeux de l’Histoire, Louis XVI avait été conduit à l’échafaud, sa femme et sa sœur s’apprêtaient à le suivre, son fils devenait le petit prince de tous les enfants maltraités, la guillotine, les noyades, les fusillades marchent à plein régime, la Vendée dévastée, la foi chrétienne déclarée hors-la-loi et ses prêtres, ses religieux et ses fidèles, persécutés. « Vous n’arriverez à rien, avait prévenu Mirabeau, si vous ne déchristianisez pas la Révolution ».
Entre-temps, aux premiers jours de septembre 1792, des témoins de l’évangile, évêques, prêtres et laïcs, qui avaient été regroupés ici même, dans ce qui était quelques mois auparavant le couvent des carmes, un foyer de prière et d’assistance spirituelle donc, étaient débités comme des bêtes, quand on les faisait sortir par la porte donnant sur le jardin. Les massacres allaient durer quarante-huit heures et plus. Dans l’éclairage blafard des vieilles cours, à la lueur des torches et des bougies, car les soi-disant tribunaux fonctionnaient même de nuit, l’horreur.
L’heure pourtant n’est ni à l’élégie, ni à la repentance, encore moins à la manie contemporaine des « fêtes mémorielles ». Il s’agit simplement de rappeler le sens du sacrifice. Le Catéchisme de l’Eglise catholique explique sereinement que « Le martyre est le suprême témoignage rendu à la vérité de la foi ; il désigne un témoignage qui va jusqu’à la mort. Le martyr rend témoignage au Christ, mort et ressuscité, auquel il est uni par la charité. (…) Il supporte la mort par un acte de courage » (n°2473)
Il n’y a pas si longtemps, du moins chez nous, on parlait du martyre comme d’une référence éloignée dans l’espace ou dans l’histoire. Il s’est rapproché de manière dramatique. Un ouvrage récent révélait que 85% des persécutions qui s’opèrent dans le monde pour des raisons religieuses de nos jours, visent les chrétiens. Nous en sommes témoins, à l’heure où je vous parle, en cette Arménie chrétienne privée désormais de son berceau, de sa terre d’origine vieille de trois mille ans. On peut prédire que la situation ira en s’aggravant. Les plus jeunes se plaignent de ce que, même sur nos terres de vieille chrétienté, il leur est de plus en plus difficile de se dire du Christ, quand l’opinion dominante voit dans la religion un facteur de violence et d’obscurantisme. La semaine dernière, on me rapportait que dans une école catholique, une fillette de 12 ans qui avait mis une médaille sur son corsage avant été convoquée, puis réprimandée par le directeur de l’établissement, parce que ce signe de la foi lui semblait trop ostensible… Une école dite catholique ! A côté du martyre sanglant, se multiplient ainsi des formes de persécutions insidieuses, ou franchement déclarées en cas de laïcité agressive, qui exigent beaucoup de courage pour confesser sa foi dans des sociétés sécularisées et relativistes. Le pape François avait bien raison de parler de « martyre en gants blancs ».
On comprend notre inquiétude. Vous aurez noté que ce terme figure à deux reprises dans les textes de ce dimanche. La prière d’ouverture demandait au « Dieu éternel et tout-puissant… de délivrer notre conscience de ce qui l’inquiète ». Quant à S. Paul, il nous invitait à nous inquiéter de rien.
Le moment est venu de nous redire que cette vigne qui a tellement de prix aux yeux de Dieu n’est pas autre chose que nous-mêmes, son Eglise, ceux qui se réclament de l’évangile, prêts à témoigner de leur foi. Appelons-la l’Israël de la seconde alliance. Une vigne a besoin d’eau, mais ne sommes-nous pas invités à solliciter la source vive qui irrigue ce qui était desséché ? Une vigne a besoin de lumière, mais ne sommes-nous pas invités à prier Celui qui est l’Esprit de lumière et d’amour ? Une vigne a besoin d’être cultivée, soigneusement entretenue, émondée le moment venu, mais ne sommes-nous pas invités à demander au Doigt de la droite du Père de renouveler toute chose sur cette terre ? Les épreuves ne manquent pas, certes, mais nous avons reçu l’Esprit de force et de sagesse. Encore faut-il se référer à l’Esprit Saint ! J’avais rendu visite jadis à un évêque du voisinage. Il n’était pas très âgé, mais se savait malade. Celui qui affrontait sereinement l’ultime épreuve de vérité me parla de sa foi. « Avec le Christ, me confia-t-il, j'ai toujours été de plain-pied. C'est pour cela que la messe quotidienne représente le cœur de ma spiritualité. En suivant le Christ, on ne peut pas ne pas tourner son regard vers le Père. Et souvent mes prières commencent par cette évocation, Père. Mais l'Esprit ? Je me demande si je n’ai jamais véritablement prié l'Esprit Saint. Pour moi l'Esprit, c'est le Grand Discret ». L’Esprit n’est-il pas aussi le Grand Discret de la vie de notre Eglise latine ?
Comment donc retrouver le goût du Saint-Esprit ?
Lorsque les carmélites de Compiègne montèrent sur l’échafaud, on rapporte qu’elles chantaient le Veni Creator. Elles nous montraient la voie…
Paris, Saint Joseph des Carmes
(Is 5, 1-17; Ph 4, 6-9; Mt 21, 33-43)
LE PRIX DE LA VIGNE
Je viens d’une région où la vigne a du prix. Pendant longtemps, pendant deux siècles environ, elle était notre unique richesse. C’est dire que nous y sommes particulièrement sensibles à cette image qui traverse le livre de la Parole de Dieu, à la manière d’un fil conducteur, jusqu’à l’évangile qui vient d’être proclamé. Dieu aime sa vigne, le peuple qu’il s’est choisi, son Israël : il le guide, il le protège, il le corrige à la manière dont on émonde les ceps afin de produire le meilleur vin.
Le souci de la vigne encadre, si je puis dire, de la première à la dernière page, la mission de Jésus. A Cana, le Christ manifeste pour la première fois ce qu’il est et ce qu’il veut faire au cours d’un mariage. Rappelez-vous : le vin vient à manquer. Chez nous, sans vin pas de fête, sans fête pas de joie, sans joie pas d’amour, sans amour pas de noces. Les convives risquent de se séparer et, à travers eux, l’humanité de sombrer dans un abîme de tristesse. L’eau est transformée en vin. La noce est sauvée. Dieu, enfin, va pouvoir épouser l’humanité. Demain, à la veille de monter sur la croix, le Christ transformera, non plus l’eau en vin, mais le vin en sang, son propre sang librement, magnifiquement offert pour la multitude. « Faites cela en mémoire de moi ».
La vigne restera la dernière image que le Christ laisse à ses disciples : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron, leur dit-il. (…) Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance, car sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 1 & 5). Et puis ce sera l’arrestation, la condamnation, la douloureuse voie du Golgotha, enfin le sang versé. Le prix de la vigne est toujours le sang.
La vigne que Dieu entoure d’un soin jaloux est ce projet de salut offert non plus a un seul peuple, mais désormais, depuis le sacrifice de son Fils, à l’ensemble de l’humanité. L’annoncer, ce projet, à tous les hommes de bonne volonté, l’expliquer, le faire comprendre « par la parole et par l’exemple », selon l’expression consacrée, le faire aimer, en un mot : on reconnaît bien là le propos de l’Eglise. Si le prix de la vigne est le sang, on ne sera pas étonné de rappeler, une fois encore, que cette Eglise, née sur la croix, du côté de Jésus transpercé, s’est fortifiée dans le sang des martyrs. Trois siècles de persécutions dès ses débuts, et puis, selon les péripéties de l’Histoire, d’autres vagues, d’autres sacrifices. La plupart de ces sacrifices sont restés secrets, comme tombés dans la poussière des oubliettes. D’autres demeurent gravés dans notre mémoire collective.
Au matin du 4 mai 1789, sous un dais de tissu d’or, Monseigneur l’Archevêque de Paris portait le Saint-Sacrement dans un ostensoir flambant comme le soleil : au cours de la messe du Saint-Esprit, les trois Ordres du royaume Très-Chrétien demandaient à Dieu d’éclairer les travaux de l’Assemblée des Etats-Généraux qui allait s’ouvrir le lendemain. Moins de quatre ans plus tard, c’est-à -dire le temps d’un soupir aux yeux de l’Histoire, Louis XVI avait été conduit à l’échafaud, sa femme et sa sœur s’apprêtaient à le suivre, son fils devenait le petit prince de tous les enfants maltraités, la guillotine, les noyades, les fusillades marchent à plein régime, la Vendée dévastée, la foi chrétienne déclarée hors-la-loi et ses prêtres, ses religieux et ses fidèles, persécutés. « Vous n’arriverez à rien, avait prévenu Mirabeau, si vous ne déchristianisez pas la Révolution ».
Entre-temps, aux premiers jours de septembre 1792, des témoins de l’évangile, évêques, prêtres et laïcs, qui avaient été regroupés ici même, dans ce qui était quelques mois auparavant le couvent des carmes, un foyer de prière et d’assistance spirituelle donc, étaient débités comme des bêtes, quand on les faisait sortir par la porte donnant sur le jardin. Les massacres allaient durer quarante-huit heures et plus. Dans l’éclairage blafard des vieilles cours, à la lueur des torches et des bougies, car les soi-disant tribunaux fonctionnaient même de nuit, l’horreur.
L’heure pourtant n’est ni à l’élégie, ni à la repentance, encore moins à la manie contemporaine des « fêtes mémorielles ». Il s’agit simplement de rappeler le sens du sacrifice. Le Catéchisme de l’Eglise catholique explique sereinement que « Le martyre est le suprême témoignage rendu à la vérité de la foi ; il désigne un témoignage qui va jusqu’à la mort. Le martyr rend témoignage au Christ, mort et ressuscité, auquel il est uni par la charité. (…) Il supporte la mort par un acte de courage » (n°2473)
Il n’y a pas si longtemps, du moins chez nous, on parlait du martyre comme d’une référence éloignée dans l’espace ou dans l’histoire. Il s’est rapproché de manière dramatique. Un ouvrage récent révélait que 85% des persécutions qui s’opèrent dans le monde pour des raisons religieuses de nos jours, visent les chrétiens. Nous en sommes témoins, à l’heure où je vous parle, en cette Arménie chrétienne privée désormais de son berceau, de sa terre d’origine vieille de trois mille ans. On peut prédire que la situation ira en s’aggravant. Les plus jeunes se plaignent de ce que, même sur nos terres de vieille chrétienté, il leur est de plus en plus difficile de se dire du Christ, quand l’opinion dominante voit dans la religion un facteur de violence et d’obscurantisme. La semaine dernière, on me rapportait que dans une école catholique, une fillette de 12 ans qui avait mis une médaille sur son corsage avant été convoquée, puis réprimandée par le directeur de l’établissement, parce que ce signe de la foi lui semblait trop ostensible… Une école dite catholique ! A côté du martyre sanglant, se multiplient ainsi des formes de persécutions insidieuses, ou franchement déclarées en cas de laïcité agressive, qui exigent beaucoup de courage pour confesser sa foi dans des sociétés sécularisées et relativistes. Le pape François avait bien raison de parler de « martyre en gants blancs ».
On comprend notre inquiétude. Vous aurez noté que ce terme figure à deux reprises dans les textes de ce dimanche. La prière d’ouverture demandait au « Dieu éternel et tout-puissant… de délivrer notre conscience de ce qui l’inquiète ». Quant à S. Paul, il nous invitait à nous inquiéter de rien.
Le moment est venu de nous redire que cette vigne qui a tellement de prix aux yeux de Dieu n’est pas autre chose que nous-mêmes, son Eglise, ceux qui se réclament de l’évangile, prêts à témoigner de leur foi. Appelons-la l’Israël de la seconde alliance. Une vigne a besoin d’eau, mais ne sommes-nous pas invités à solliciter la source vive qui irrigue ce qui était desséché ? Une vigne a besoin de lumière, mais ne sommes-nous pas invités à prier Celui qui est l’Esprit de lumière et d’amour ? Une vigne a besoin d’être cultivée, soigneusement entretenue, émondée le moment venu, mais ne sommes-nous pas invités à demander au Doigt de la droite du Père de renouveler toute chose sur cette terre ? Les épreuves ne manquent pas, certes, mais nous avons reçu l’Esprit de force et de sagesse. Encore faut-il se référer à l’Esprit Saint ! J’avais rendu visite jadis à un évêque du voisinage. Il n’était pas très âgé, mais se savait malade. Celui qui affrontait sereinement l’ultime épreuve de vérité me parla de sa foi. « Avec le Christ, me confia-t-il, j'ai toujours été de plain-pied. C'est pour cela que la messe quotidienne représente le cœur de ma spiritualité. En suivant le Christ, on ne peut pas ne pas tourner son regard vers le Père. Et souvent mes prières commencent par cette évocation, Père. Mais l'Esprit ? Je me demande si je n’ai jamais véritablement prié l'Esprit Saint. Pour moi l'Esprit, c'est le Grand Discret ». L’Esprit n’est-il pas aussi le Grand Discret de la vie de notre Eglise latine ?
Comment donc retrouver le goût du Saint-Esprit ?
Lorsque les carmélites de Compiègne montèrent sur l’échafaud, on rapporte qu’elles chantaient le Veni Creator. Elles nous montraient la voie…