HOMÉLIE DE LA SOLENNITÉ 2019 - Père Bourion
28eme dimanche T. O., année C (2019)
Paris, Saint Joseph des Carmes
(2 R 5, 14-17; 2 Tm 2, 8-13; Lc 17, 11-19)
Pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour comprendre qui sont les lépreux d'aujourd'hui. Nous aussi, nous avons nos intouchables. Ceux qu'on a peur de devoir rencontrer et à qui on n'aimerait même pas avoir à penser. Aucun lieu ni aucune époque ne sont épargnés.
Le lépreux souffre toujours d'une double peine: non seulement il est marqué profondément par un mal qui défigure son humanité, mais il ne peut plus rencontrer les autres humains. Le mal qui l'a touché fait de lui un intouchable. Celui qui risque de nous rendre comme lui.
Jésus est sur le chemin de Jérusalem et voici que dix lépreux viennent lui crier leur détresse. Jésus va-t-il s'approcher pour les guérir ? Pas du tout ! Il reste loin, comme un bon Juif, fidèle à la Loi.
"Allez vous montrer aux prêtres." C'est ce que devait faire un ancien lépreux pour faire constater sa guérison et retrouver sa place dans la société. Mais il n'y a pas eu de guérison ! Pourquoi Jésus fait-il comme si les lépreux étaient déjà gueris ? "Allez !" Et si ce verbe seul suffisait pour guérir ? Dieu est celui qui nous dit: "Vas-y !" Il nous guérit parce qu'il nous renvoie à notre responsabilité de marcheurs. Les dix lépreux se mettent donc en route pour aller là où se trouvent les prêtres, c'est à dire au Temple, à Jérusalem.
Et voilà qu'en cours de route, ils sont purifiés. Le miracle a enfin lieu. Leur voyage à Jérusalem peut se poursuivre. Il aura du sens. Ils se montreront au prêtre et ainsi ils pourront venir dans le Temple offrir un sacrifice. Être purifié, dans l'Evangile, ce n'est pas un verbe en l'air. C'est précis. Être purifié, c'est redevenir capable d'entrer en contact avec Dieu par la liturgie. Bonne Nouvelle ! Les prêtres ont gagné dix nouveaux pratiquants.
Et pourtant l'un d'entre eux revient sur ses pas. Dans l'Evangile de Luc, je ne sais pas si vous avez remarqué, il y a plein de gens qui font demi-tour. Demi-tour de Marie et Joseph qui s'en vont de Jérusalem en pensant avoir Jésus avec eux et qui doivent y revenir pour le retrouver d'une autre manière, non plus seulement comme leur fils, mais comme Le Fils. Demi-tour inverse des disciples d'Emmaüs, qui, eux, quittent Jérusalem en pensant y avoir laissé le corps de leur Seigneur et qui, l'ayant retrouvé vivant sur la route, doivent revenir crier la nouvelle aux apôtres. Demi-tour du fils indigne qui revient vers son Père comme un mort revient à la vie… Et j'en passe ! Faire demi-tour, c'est admettre qu'on avait pas compris. Faire demi-tour, c'est échapper au mythe du progrès continuel ("super, j'accumule les expériences") et trouver la nouveauté en voyant d'une manière nouvelle ce qu'on pensait connaître par coeur.
Le demi-tour du lépreux ? C'est logique. C'est un Samaritain. Pour un Samaritain, aller à Jérusalem se montrer au prêtre n'a aucun sens. Autant demander à un protestant d'aller faire un pèlerinage à Rome. Les prêtres des Samaritains ne se trouvent pas à Jérusalem, mais en Samarie, sur le mont Garizim. Alors ? Si le sens était ailleurs ? Si le Samaritain avait compris ce que les autres n'avaient pas compris ? Le prêtre qu'il faut aller rencontrer, c'est lui, Jésus, évidemment. Oui, seul un Samaritain, un hérétique, à reconnu où est le vrai prêtre. Les autres connaissent trop leur catéchisme de bons juifs pour s'interroger. Ce sont les gens de l'extérieur qui s'étonnent. Pas les vieux Obélix qui sont tombés dans la religion quand ils étaient petits. Alors le Samaritain se prosterne face contre terre. Il e fait petit devant le Christ. Devant lui seul.
"Est ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu; il n'y a que cet étranger !"
Le Père est glorifié par celui qu'on n'attendait pas. Un sur dix. Ce n'est pas vraiment une réussite. Mais c'est la logique de l'Evangile, qui s'appuie rarement sur l'unanimité des masses et sur le consensus ambiant.
Juste après cet épisode Jésus, interrogé par les Pharisiens, se lancera dans un grand discours au sujet du règne de Dieu. "Le règne de Dieu est parmi vous. Vous ne le voyez pas ?" Neuf lépreux, pourtant guéris, n'ont rien vu. Ce n'est pas parce qu'on colle aux événements qu'on en comprend le sens. Le règne de Dieu est devant notre nez, où peut être derrière notre dos. Il ne s'agit donc pas de partir décrocher la lune à l'autre bout du monde. Il s'agit de faire demi-tour, de revenir sur soi-même, de revenir en soi-même, pour se retrouver par terre, devant les pieds de celui qui nous redresse, qui nous relève, qui nous ressuscite.
Alors n'ayons pas peur ! N'ayons pas peur de revenir en arrière, de recommencer à croire. C'est peut être derrière nous, sur le chemin bien connu du passé, dans le creux d'une histoire qu'on croyait connaître par cœur, c'est peut être là , aux portes de notre village intérieur, que nous attend celui qui nous fait revivre.
Paris, Saint Joseph des Carmes
(2 R 5, 14-17; 2 Tm 2, 8-13; Lc 17, 11-19)
Pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour comprendre qui sont les lépreux d'aujourd'hui. Nous aussi, nous avons nos intouchables. Ceux qu'on a peur de devoir rencontrer et à qui on n'aimerait même pas avoir à penser. Aucun lieu ni aucune époque ne sont épargnés.
Le lépreux souffre toujours d'une double peine: non seulement il est marqué profondément par un mal qui défigure son humanité, mais il ne peut plus rencontrer les autres humains. Le mal qui l'a touché fait de lui un intouchable. Celui qui risque de nous rendre comme lui.
Jésus est sur le chemin de Jérusalem et voici que dix lépreux viennent lui crier leur détresse. Jésus va-t-il s'approcher pour les guérir ? Pas du tout ! Il reste loin, comme un bon Juif, fidèle à la Loi.
"Allez vous montrer aux prêtres." C'est ce que devait faire un ancien lépreux pour faire constater sa guérison et retrouver sa place dans la société. Mais il n'y a pas eu de guérison ! Pourquoi Jésus fait-il comme si les lépreux étaient déjà gueris ? "Allez !" Et si ce verbe seul suffisait pour guérir ? Dieu est celui qui nous dit: "Vas-y !" Il nous guérit parce qu'il nous renvoie à notre responsabilité de marcheurs. Les dix lépreux se mettent donc en route pour aller là où se trouvent les prêtres, c'est à dire au Temple, à Jérusalem.
Et voilà qu'en cours de route, ils sont purifiés. Le miracle a enfin lieu. Leur voyage à Jérusalem peut se poursuivre. Il aura du sens. Ils se montreront au prêtre et ainsi ils pourront venir dans le Temple offrir un sacrifice. Être purifié, dans l'Evangile, ce n'est pas un verbe en l'air. C'est précis. Être purifié, c'est redevenir capable d'entrer en contact avec Dieu par la liturgie. Bonne Nouvelle ! Les prêtres ont gagné dix nouveaux pratiquants.
Et pourtant l'un d'entre eux revient sur ses pas. Dans l'Evangile de Luc, je ne sais pas si vous avez remarqué, il y a plein de gens qui font demi-tour. Demi-tour de Marie et Joseph qui s'en vont de Jérusalem en pensant avoir Jésus avec eux et qui doivent y revenir pour le retrouver d'une autre manière, non plus seulement comme leur fils, mais comme Le Fils. Demi-tour inverse des disciples d'Emmaüs, qui, eux, quittent Jérusalem en pensant y avoir laissé le corps de leur Seigneur et qui, l'ayant retrouvé vivant sur la route, doivent revenir crier la nouvelle aux apôtres. Demi-tour du fils indigne qui revient vers son Père comme un mort revient à la vie… Et j'en passe ! Faire demi-tour, c'est admettre qu'on avait pas compris. Faire demi-tour, c'est échapper au mythe du progrès continuel ("super, j'accumule les expériences") et trouver la nouveauté en voyant d'une manière nouvelle ce qu'on pensait connaître par coeur.
Le demi-tour du lépreux ? C'est logique. C'est un Samaritain. Pour un Samaritain, aller à Jérusalem se montrer au prêtre n'a aucun sens. Autant demander à un protestant d'aller faire un pèlerinage à Rome. Les prêtres des Samaritains ne se trouvent pas à Jérusalem, mais en Samarie, sur le mont Garizim. Alors ? Si le sens était ailleurs ? Si le Samaritain avait compris ce que les autres n'avaient pas compris ? Le prêtre qu'il faut aller rencontrer, c'est lui, Jésus, évidemment. Oui, seul un Samaritain, un hérétique, à reconnu où est le vrai prêtre. Les autres connaissent trop leur catéchisme de bons juifs pour s'interroger. Ce sont les gens de l'extérieur qui s'étonnent. Pas les vieux Obélix qui sont tombés dans la religion quand ils étaient petits. Alors le Samaritain se prosterne face contre terre. Il e fait petit devant le Christ. Devant lui seul.
"Est ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu; il n'y a que cet étranger !"
Le Père est glorifié par celui qu'on n'attendait pas. Un sur dix. Ce n'est pas vraiment une réussite. Mais c'est la logique de l'Evangile, qui s'appuie rarement sur l'unanimité des masses et sur le consensus ambiant.
Juste après cet épisode Jésus, interrogé par les Pharisiens, se lancera dans un grand discours au sujet du règne de Dieu. "Le règne de Dieu est parmi vous. Vous ne le voyez pas ?" Neuf lépreux, pourtant guéris, n'ont rien vu. Ce n'est pas parce qu'on colle aux événements qu'on en comprend le sens. Le règne de Dieu est devant notre nez, où peut être derrière notre dos. Il ne s'agit donc pas de partir décrocher la lune à l'autre bout du monde. Il s'agit de faire demi-tour, de revenir sur soi-même, de revenir en soi-même, pour se retrouver par terre, devant les pieds de celui qui nous redresse, qui nous relève, qui nous ressuscite.
Alors n'ayons pas peur ! N'ayons pas peur de revenir en arrière, de recommencer à croire. C'est peut être derrière nous, sur le chemin bien connu du passé, dans le creux d'une histoire qu'on croyait connaître par cœur, c'est peut être là , aux portes de notre village intérieur, que nous attend celui qui nous fait revivre.